R3, entre convoyeur de joies et fossoyeur de campagnards d’été

La rotation R3 de l’Astrolabe est en cours. Le bateau est actuellement bloqué dans le pack à 70 km de la station. Le débarquement par hélicoptère des vivres et du fioul à commencé, ce qui constitue une excellente nouvelle pour les membres de l’hivernage. En effet le stock de fioul avait considérablement diminué et cette livraison était essentielle pour tenir jusque l’été prochain. Pour la petite histoire, si ce stock n’est pas suffisant, la base passe alors en mode minimaliste : tous les scientifiques repartent avec le bateau accompagné d’une partie de l’équipe technique. Ne restent alors que 5 personnes, chargés de faire tourner la centrale et certains bâtiments, en espérant que la base puisse reprendre ses activités l’année suivante.

R3 marque également l’arrivée de mon laser, enfin!! Lui qui était rentré à Paris pour maintenance revient à la maison et je vais pouvoir commencer mes mesures très prochainement. Je suis actuellement en train de le remettre sur son plan de travail et de l ’aligner : par une technique optique appelée « auto-collimation », je m’assure  que la faisceau laser sorte du shelter Lidar le plus droit possible, afin d’optimiser son interaction avec les particules de l’atmosphère. Pour rappel le Lidar, acronyme pour LIght Detection And Ranging, fonctionne sur le même principe qu’un radar mais avec des ondes lumineuses en lieu et place des ondes radios. Il est un système d’analyse à distance et peut servir entre autre aux relevés topographiques, à la mesure du vent ou à l’analyse des matériaux ou ici en l’occurrence de l’atmosphère.

Vous pouvez voir sur la photo de Frédérique les deux lidars présents à DDU. Le second est complémentaire du mien dans la mesure où il se focalise sur l’étude des précipitations dans la basse atmosphère (<à 5 km) alors que j’étudie tout ce qui se passe au-delà de 6 km. Le second Lidar, qui ne fait pas partie de mon programme de recherche, sera automatisé et n’aura pas besoin d’opérateur cet hiver.

Le laser sorti des cartons

Paré pour les manips!

Bataille de Lidar!

Attention si la photo peut laisser penser le contraire, les deux faisceaux ne se croisent pas, et l’un (celui de droite) s’arrête à environ 7 km d’altitude alors que le second (le mien, à gauche) peut atteindre 50 km, même si sur cette photo il est stoppé par une couche de cirrus vers 10 km.

L’arrivée du laser coïncidence avec celle de la nuit. Cette dernière s’allonge très rapidement, plus de 6h de jour perdu entre le 6 janvier et le 5 février. Actuellement le soleil se couche vers 21h30 et se lève vers 4h30, nous perdrons ensuite environ 8 minutes de soleil par jour jusqu’au 21 juin ou le soleil se lèvera à 11h40 pour se coucher à…13h40, il ne fera donc que frôler l’horizon à ce moment-là. Certaines personnes me confient ne pas avoir vu la nuit pendant presque 4 mois, et qu’elles n’avaient jamais été aussi contentes de voir un peu de pénombre dans ce monde de lumière ! Cela nous offre de très beaux coucher de soleil. Nous apercevons même quelques étoiles, qui nous rappelle si cela était nécessaire qu’elles n’avaient pas disparues avec l’été austral et qu’elles seront bien là cet hiver pour nous éclairer au propre comme au figuré de leur précieuse lumière traversant l’espace et le temps.


R3 annonce également une vague de départ dans les prochains jours : près de 20 personnes vont rentrer sur cette rotation de l’Astrolabe, nous rapprochant ainsi un peu plus du début de notre hivernage à 23. On sent déjà une certaine nostalgie voire appréhension chez les futurs partant qui pour certains sont là depuis 3 mois. Je me remémore les séparations difficiles lors de R2, et ayant eu cette fois le temps de tisser de vrais liens avec ces campagnards d’été, je dois bien avouer que cela risque d’être une journée bien morose à laquelle je ne préfère ne pas trop penser, d’autant que 15 jours plus tard,  l’ultime rotation R4 amènera avec elle les derniers survivants de la campagne d’été 2016-2017 et nous isolera définitivement du reste du monde, du moins physiquement, jusqu’à l’arrivée du premier bateau de la campagne d’été suivante, soit environ 8 mois. En attendant, et pour détendre l’atmosphère de cette fin d’article, je vous laisse avec quelques photos de la soirée de samedi dernier, soirée « vert », où je me suis transformé avec 3 fidèles compagnons en chevalier d’écaille et de vynile. Autant dire que l’allumage de mon Lidar, permettant au faisceau laser de fendre le ciel de sa verte couleur (il tire à 532 nm, soit la longueur d’onde correspondant au vert dans le spectre lumineux) , a produit son effet chez les Adéliens. Allumer un laser en Antarctique déguisé en tortue ninja, voilà une histoire qui risque de me suivre de nombreuses années !

A bientôt!

Ouh la belle brochette!

De gauche à droite: Camille, Solène, Guillaume, kevin et Annabelle

La dernière tortue est cachée derrière docteur Louis

Menu du soir

Louis en bonne compagnie

Même le balai d’Elodie est dans le thème!

Session verni avec Elodie et Kevin

Non Audrey je ne te comprend pas, je suis une tortue…

Le menu du soir

Ça souffle à DDU !

Point météo

Trois salariés de Météo France viennent chaque année hiverner à DDU. Il s’agit cette année d’Alexandre, Philippe et Vincent. Les données et prévisions météorologiques qu’ils produisent sont primordiales, non seulement pour les programmes scientifiques comme le mien qui se servent par exemple des données des ballons sondes envoyés par les météos (qui enregistrent la température et la pression en altitude au-dessus de DDU), mais également pour organiser la vie sur la base. Aucune sortie sur la banquise ou sur les îles avoisinantes ni aucun travaux d’envergure ou transports par hélicoptère ne se font sans consulter les météos et leurs prévisions. Notre trio a récemment battu le record du ballon sonde envoyé le plus haut à DDU, plus de 30 km!

Record battu!

Une partie des données météos sont visibles sur notre intranet. L’été 2016-2017 a été plutôt doux, les températures s’échelonnant en janvier de -6°C à 4,8°C. On s’aperçoit cependant que le vent est très présent à DDU. Durant l’été, période calme, il est très régulièrement à 50-60 km/h de moyenne avec des rafales soudaines à plus de 100 km/h, maximum de 105,8 km/h en janvier. Ce qui transforme une température relativement clémente comme un petit -1°C en presque -13°C ressenti ! Pas de quoi fouetter un chat me direz-vous (surtout les alsaciens), certes…mais nous sommes toujours en été, imaginez maintenant la température ressentie en plein hiver avec une température réelle de  -25 et un vent à 180 voire 200 km/h (record à DDU de 320 km/h), et bien on se rapproche doucement des -50°C. Dans ce cas-là, rassurez-vous, pas grand monde met le nez dehors à DDU…

Exemple de données météos quotidiennes

Bon il peut arriver que la sonde de température veuille nous faire des petites blagues, à moins que les lois de la physique changent en Antarctique, mystère…

Humm c’est très froid là non?

Ça souffle très fort!

Début février aura été marqué par des rafales à près de 200 km/h. Si je savais que cela arrivait, j’avais du mal à appréhender ce que représente cette force colossale. Et bien je ne suis pas déçu, c’est tout simplement impressionnant, ces rafales vous plaquent littéralement contre les murs ou les rambardes. Le moindre mouvement devient périlleux : lever une jambe et celle-ci s’envole sous l’effet du vent, faisant de vous un pantin marchant de façon désarticulée, portez un objet offrant une surface plane et vous dévalez les caillebotis en ayant toute les difficultés du monde à vous stopper. Cela offre cependant des situations plutôt drôles : lorsque la rafale change brutalement de direction, vous pouvez vous retrouver brusquement le vent dans le dos alors que depuis 5 minutes vous poussiez de toute vos force (tête et buste penchés en avant) sur vos jambes contre le vent de face : je vous laisse imaginer la surprise lorsque d’un coup vous vous mettez à courir sous la force du vent alors qu’une porte se trouve à moins de 10 mètres…

Sortie ornitho :

J’ai donc fait ma première « manip » ornitho. Audrey et moi-même avons accompagné Coline, l’ornithologue, sur l’île du gouverneur (transport en hélicoptère au-dessus de la banquise, classe comme taxi !), île située à l’extrême sud-ouest de l’archipel de pointe géologie, ou elle avait pour but de baguer les poussins skuas recensés lors d’une précédente visite. 3 skuas ont ainsi été bagués et mesurés (ailes, bec, tête…). Nous avons également vu qu’il y avait encore 3 poussins adélie vivants et Coline fut toute ravie de trouver son premier poussin de Pétrels des neiges qu’elle s’est empressée de baguer bien que celui-ci, pas très rassuré, a passé les 5 minutes de la manipulation à lui vomir et déféquer dessus, technique de défense visiblement très répandue chez les oiseaux. Conséquence, nous l’avons baptisé Peter, à prononcer « Pétér » et non « Piteur », référence à un classique du cinéma made in Hazanavicius.

Les photos suivantes ont été prises par Annabelle Kremer lors d’une autre journée ornitho, j’étais pour ma part trop occupé à observer le travail et écouter les explications de notre ornitho en chef pour ma grande première!

Mesure d’un poussin Skua

Pesage du même poussin

Le tout sous la surveillance rapprochée de maman (ou papa…)

Un skua essaie d’effrayer notre intrépide ornithologue

Ce fut très intéressant de voir Coline dans son élément sur cette île éloignée du tumulte estival de la base, entre hélico et véhicules divers transportant vivres et fioul nécessaire à l’hivernage. Je fus d’ailleurs marqué par le silence qui régnait sur cette île, seulement rompu par les cris perçant des skuas tentant en vain d’impressionner Coline venue leur arracher l’espace d’un instant leur progéniture. N’ayant pas d’autres moyens que l’hélico pour regagner la base, nous étions alors 3 naufragés sur un caillou perdu dans l’océan austral au large de l’Antarctique, au milieu de la faune locale : sensation paradoxale mais grisante de se sentir à la fois à la merci des éléments et comme rassuré voire apaisé par l’immuable force motrice du jeu de la vie auquel se livrent sous nos yeux les différentes espèces.

J’ai pu lors de cette sortie observer certaines techniques des ornithos pour attraper les poussins (difficultés +) et les adultes (difficultés +++++). L’une d’elle est d’utiliser des cadavres de poussins adélie morts naturellement, auxquels sont attachés des cordelettes à nœuds coulant, que Coline tire d’un coup sec lorsqu’un skua vient s’y empêtrer. Il y aussi la technique plus rustique de sauter et attraper les pattes d’un infortuné oiseau passé trop près de l’ornitho (taux de réussite de cette technique pour Coline: nul pour l’instant).