La jeune fille et l’oeuf

Le poste que j’occupe, celui de responsable de l’instrument LIDAR, est quelque peu particulier. En effet, basé sur la détection de phénomènes optiques de hautes altitudes peu intenses, il nécessite de travailler de nuit afin de maximiser le signal obtenu et ne pas être ébloui par la lumière du jour. La problématique est que de janvier à Juin, la durée du jour baisse inexorablement jusqu’à fin Juin. A titre d’exemple, il n’y a que 9h d’ensoleillement pour le mois de Juin entier. Cela a deux conséquences pour moi : la première est que ma plage de travail grandit sans cesse au fur à et à mesure. Alors que j’effectuais des mesures entre 23h et 3h du matin début mars, elles s’étendent actuellement de 18h à 6h du mat. Les jours où les nuages bas sont trop denses ou les chutes de neiges trop intenses constituent des pauses salutaires car le laser est alors inopérant. En juin ma plage de travail potentielle s’étendra de 15h à 10h le lendemain (pour limiter les risques de saturation, mes manips commencent un certain temps après le coucher du soleil et s‘arrête également avant le lever). Ce qui m’amène à la deuxième conséquence : le sommeil, qui est pour moi assez anarchique en ce moment car chaque mois nous perdons 3h30 de soleil, ce qui décale mes heures de travail et donc de « nuit ». A peine je trouve un rythme qu’il change quelques jours plus tard. Au-delà de la fatigue, cela me décale totalement du rythme de la base et cela ne fait qu’empirer et malgré toute ma volonté pour participer à toute les activités de groupe, je me sens parfois un peu isolé, non pas par la faute de mes camarades qui sont tous très attentionnés, mais tout simplement car je peux passer plusieurs jours consécutifs en ne croisant que quelques personnes furtivement.

Une journée typique en ce moment est la suivante : fin de la manip à 5h30, début de sommeil vers 6h30 (qui est parfois interrompu par le réveil de mes co-hivernants se levant entre 7 et 8h, me poussant de temps en temps à dormir dans mon labo sur quelques couettes entassées), levé autour de 13h, je lance mes routines quotidiennes au labo avant d’aller manger au séjour vers 14h, seul vu que le repas commun à lieu à 12h. Après un peu de sport pendant une heure (ou j’ai parfois la chance de croiser des gens !) ou alors si j’en ai le temps une petite marche sur la banquise, je retourne au travail analyser les données des jours précédents. Or la nuit arrive très vite, dès 18h je relance ma manip, ce qui la plupart du temps m’empêche également de prendre le repas du soir avec les autres personnes, repas que je prends sur le pouce un peu plus tard dans la soirée. Et autant dire que les dimanches ou les jours fériés n’existent pas car ils n’existent pas non plus pour les nuages au-dessus de DDU. Les jours de tempêtes sont donc bienvenue pour stopper ce cycle qui, répété plusieurs jours consécutifs, me donne un sentiment d’isolement assez désagréable, renforcé par le fait que cela me fait régulièrement rater les soirées organisées au séjour (jeux, films, soirées du vendredi ou du samedi…).

Si généralement, les longues heures passées dans la nuit Antarctique sont pour moi très agréables car  me permettent soit d’observer les étoiles soit de vaquer à diverses occupations (apprentissage du perse, écriture, lecture, travail), elles m’ont récemment plutôt plonger dans une légère mélancolie. Bien que cela puisse paraître ironique, j’ai eu l’impression que mes co-hivernants me manquaient, alors que nous sommes « coincés » sur une petite île. Comme l’impression également que, malgré toute l’attention qu’ils me portent et toute l’affection que j’ai pour eux, ils ne pourront pas comprendre cette étrange situation. A leur décharge, Il faut dire que je n’en parle pas plus que ça, mis à part deux ou trois personnes aujourd’hui assez proches, car chaque poste apporte son lot de difficultés et après tout ils n’y sont absolument pour rien alors à quoi bon se plaindre ?  J’appréhende les mois de juin et juillet, qui seront encore pire en terme de décalage horaire.

Pourtant, ce léger spleen lidarien n’aura pas duré très longtemps. La magie de l’Antarctique et une petite dose de relativisme ont vite chassé ces états d’âmes. Alors que ma longue série de nuits s’achevait, j’ai suivi avec Etienne les ornithologues (Elodie et Coline) à la manchotière. Les Empereurs se sont regroupés et sont quasiment au complet, avec plus de 7000 individus ! Observer les longues colonnes de manchots arrivant toute au même endroit années après années fut déjà un grand moment mais ce jour-là fut très spécial, nous avons vu le premier œuf ! Alors que Coline et moi étions en train d’observer les copulations (et oui il faut les dénombrer et c’est plutôt drôle car ils ne sont pas très habiles ces manchots, c’est le moins que l’on puisse dire…), nous vîmes Elodie s’affoler et courir vers la base chercher son matériel d’écoute.

Elodie et Etienne devant la manchotière

Les manchots se serrent pour affronter le froid

 

« Un des marqués à un œuf ! J’espère voir la passation » nous dit Elodie.

En effet, si voir le premier œuf est un événement, il l’est d’autant plus pour Elodie car la femelle du couple est un des 50 manchots qu’elle a marqué (sur 7000 rappelons-le) avec de la peinture, et qui fait donc partie de ceux qu’elle suit plus particulièrement. Un beau coup de bol en somme. Elle écoute alors le chant du couple pendant que j’essaie désespérément de prendre une photo de cet évènement, la passation de l’œuf, durant lequel la femelle portant l’œuf entre ses pattes et sous son ventre, le passe au mâle sans le faire toucher le sol glacé, avant de partir pour plus de 3 mois chercher de la nourriture. Le mâle attendra son retour, couvant l’œuf et jeunant durant ces 3 mois voire plus, perdant près de la moitié de son poids. Mais le vent était très fort, le froid intense, et mes mains congelées ne m’ont permis de réaliser que quelques photos pas très nettes…Pas grave nous avons vu le premier œuf ! Espérons que ce futur poussin manchot, prénommé Chardonnay (du nom de la bouteille que nous avons ouvert en son honneur) aura une longue vie ! Un moment incroyable, rendu encore plus fort par le départ assez émouvant de la femelle, qui après son départ, pas une fois s’est retournée, consciente que le temps joue contre elle. Rien, si ce n’est la mort, ne pourra à présent la détourner de son but : revenir gavée de nourriture pour le poussin et permettre au mâle de partir à son tour pour refaire ses stocks dangereusement entamés. Impossible de ne pas anthropomorphiser cet instant, bien que cela ne soit pas très scientifique je le concède, mais cette force, cette volonté, ce combat pour la vie me fait relativiser beaucoup de choses.

Le couple heureux parents, la femelle est « marquée »

Elodie écoute chanter un couple d’Empereur

Et voici le premier œuf!

 

La passation a eu lieu, le mâle a à présent l’oeuf

Quelques jours plus tard, alors que je fouillais dans l’immense bazar des malles qui m’ont accompagnée, j’ai retrouvé les photos et les dessins que m’avait envoyés Glendy, une jeune fille  hondurienne de 10 ans que j’ai parrainé pendant trois ans et avec qui j’ai un temps correspondu. Cette jeune fille est avide de connaissance et ses parents se battent contre la désertification des infrastructures publiques au Honduras, en particulier des écoles, pour pouvoir offrir à leurs enfants une éducation digne de ce nom. Faute de personnel, Glendy avait dû interrompre sa scolarité alors qu’elle excellait dans toute les matières et ne demandait qu’à apprendre. Ces lettres, en plus de raviver en moi des souvenirs émus, m’ont rappelé ce qui me motive profondément, à savoir la diffusion de la connaissance et le combat pour l’éducation, rempart essentiel selon moi contre l’obscurantisme et l’intolérance qu’engendre l’ignorance. Et cela me suffit largement à relancer la machine : me voilà de nouveau prêt à affronter, que dis-je, profiter de mes longues nuits en Antarctique, car au-delà de ma personne, le message en faveur de l’éducation et de la science dont je souhaite être un humble émissaire est un moteur incroyable.

Je vous laisse avec des moments de joies partagés récemment avec mes compagnons d’aventures : pèle-mêle une partie de foot sur la piste du lion, une journée sud-ouest (que j’ai organisé avec Alexandre from Toulouse), une soirée antagoniste (cherchez les couples), une émission radio que je co-anime avec Elodie, un coucher de soleil et notre photo de groupe officielle !

Ma co-animatrice, Elodie

Le pull rose, marque des animateurs de Skuarock Radio!

Qu’est ce qu’on rigole dis donc! Photo: François Mariotti

La rubrique horoscope de Kevin et Coline

Coucou Elo! Photo: François Mariotti

L’invité, Etienne, ne se laisse pas abattre

Championnat Antarctique! Photo: Coline Marciau

Duel avec Louis. Photo: Coline Marciau

Ouh le bel extérieur de Kevin!

Coucher de soleil sur la banquise avec Coline et Yohann

Le roi Lion donne…L’empereur manchot

La TA67 au complet!

 

Soirée antagoniste

Journée Sud Ouest!

Alex, Coline et oim!

Lancer de bûche by Paul

Lancer de…charentaises

Course de paquito

 

Blizzard, sondage de glace et rugby polaire !

Le mois d’Avril a été marqué par un blizzard très impressionnant et surtout très long. Durant plus d’une semaine, la base Dumont d’Urville a fonctionné au ralenti, paralysée par l’extrême violence de la tempête. La neige est tombée sans discontinuer du 12 au 18 avril, accentuée par des vents entre 100 et 150 km/h, transformant alors une banale chute de neige en une tempête réduisant la visibilité à quelques mètres seulement, fouettant nos visages de ces milliers de flocons gelés devenus de véritables pics à glaces et formant des « congères » en quelques heures, accumulation de neige pouvant ensevelir les bâtiments. Ces congères ont par endroit atteint les 5 mètres de hauteurs, et ont bloqué l’accès de nombreux bâtiments, qu’il a fallu déneiger des heures durant une fois la tempête terminée. Point positif, nous avons pu commencer à creuser des igloos à l’intérieur de ces congères, et même façonné des escaliers de glaces pour les escalader.

En pleine tempête

L’entrée du séjour bloquée par le blizzard

Des escaliers de glace

ça déneige à DDU!

Kevin déneige l’entrée du séjour

Durant cette semaine, nous étions partagés entre une excitation certaine devant ce spectacle fascinant, que nous attendions un peu il faut bien l’avouer, histoire de vraiment vivre l’aventure Antarctique. D’un autre côté, au bout de quelques jours, la lassitude prend place chez certains des Adéliens, dont moi, car mon travail dépend de la météo. Je suis donc bloqué, impossible pour moi d’ouvrir la trappe du laser sous peine de me retrouver avec 3 mètres de neige dans mon labo. Il nous est interdit de nous éloigner de l’île, nos mouvements sont alors très limités : séjour-dortoir-salle de sport-bureaux. Mon travail m’apporte de plus une autre satisfaction, contrariée durant cette tempête, celle d’observer la voie lactée comme elle n’apparaît surement nulle part ailleurs sur le globe, ainsi que les aurores australes, régulièrement présente en ce mois d’Avril. Mais le blizzard ne laisse passer aucune lumière, ni celles des étoiles, ni celle du soleil : du blanc, du blanc et encore du blanc une semaine durant.

 Le retour du soleil fut un vrai soulagement, et comme pour nous récompenser de notre bravoure (bon j’en rajoute carrément parce qu’il faut bien avouer que le confort de la base atténue grandement le sentiment d’être un héros polaire…), le ciel nous a offert la plus belle aurore que nous ayons eu jusque-là : durant près d’une heure, une spectacle grandiose s’est offert à nous,  les particules de hautes énergies, ou plus communément rayons cosmiques, provenant du soleil ont excité les molécules d’oxygène et d’azote de la haute atmosphère, qui s’est mise à briller d’un pourpre éclatant et de cascades de vert émeraude si intense que cela illuminait la banquise alentour. Travaillant de nuit, j’ai eu l’honneur d’être le premier à observer cette aurore vers 1h du matin, j’en ai égoïstement profité seul quelques minutes (après tout ils n’avaient qu’à pas dormir hein! ça va je rigole…) avant d’appeler le 112, qui est ici le numéro « alerte aurore » auquel chacun est libre de s’inscrire ou pas, afin de réveiller mes camarades pour profiter ensemble de cette belle nuit. Ces instants sont pour moi les plus appréciés ici : observer le ciel me plonge dans un état second, comme projeté hors de moi loin dans l’immensité du cosmos. J’oublie alors la fatigue due à mes longues nuits de mesures, le décalage de rythme d’avec mes camarades qui parfois m’isole légèrement du groupe, les choses que je regrette d’avoir fait ou de ne pas avoir fait avant de partir, les résultats inquiétant d’une campagne présidentielle aux relents nauséabonds : non dans ces moment-là, l’insignifiance de ces soucis et plus largement de nos existences au regard de l’imperturbable mécanique céleste m’apaise, me rend humble, et me fait encore un peu plus apprécier les sciences qui régissent notre magnifique univers. J’ai la naïveté de penser que l’apprentissage de l’observation du ciel et la contemplation des beautés de notre Terre pourrait par l’humilité que cela apporte, à défaut de régler les problèmes, peut apaiser les frénésies consuméristes et communautaristes qui semblent ronger nos sociétés.

Aurore australe. Photo: François Mariotti

Le retour du beau temps nous a donné envie de sortir nous balader sur la banquise. L’occasion est venue de Kevin, notre glaciologue, qui devait se rendre à la base Prud’homme, située sur le continent à 5 km de l’île des Pétrels où nous vivons. Il doit une fois par mois aller mesurer près de deux cents balises qui enregistrent les mouvements du glacier de l’Astrolabe. Rappelons que les glaciers peuvent être assimilés à des icebergs, mais qui ne dérivent pas en pleine mer et sont au contraire rattachés au continent Antarctique. Les glaciers Antarctique sont en grands danger car, sous l’effet du réchauffement climatique, ils ont tendance à s’amincir et à glisser vers la mer. Leur inexorable chute, en plus de participer à la montée des eaux des océans, provoque une arrivée conséquente d’eau douce dans la mer australe, ce qui perturbe grandement les courant océaniques et par répercussion l’écosystème antarctique.

Cap Prud’homme, c’est ici

Kevin a constitué deux équipes, l’une l’accompagnant faire les relevés sur le glacier, la seconde (dans laquelle je me trouvais) chargée de sonder la glace, c’est-à-dire forer la banquise et mesurer son épaisseur. Ces mesures permettent à notre chef de district Serge de délimiter les périmètres dans lesquels nous pouvons nous balader sans risque, bien que le risque 0 n’existe pas avec la banquise. Si les données varient, globalement il est estimée qu’une personne peut marcher sur la banquise sans risque dès que celle-ci fait 10 cm d’épaisseur, un véhicule léger type quad peut y circuler dès 30 cm, les véhicules plus lourd type voitures autour de 60 cm et les Caterpillars vers 1m. Nos mesures sur le chemin de Prud’homme ont révélé une épaisseur de banquise supérieure à 70 cm, allant parfois jusqu’à 1m30. Nous avons rejoint vers 13h l’équipe de Kevin pour un pique nique à la base Prud’homme, avec vue imprenable sur la banquise et les nombreuses îles. Il faisait beau mais extrêmement froid, autour de -25 degré, il a donc fallu être inventif pour ne pas que nos sandwichs, gâteaux, foie gras, et boissons ne gèlent sur la route (ce qui est quand même arrivé pour certain, et aussi pour le vin qui s’est transformé en sorbet glacé au vin, fort original au goût) : bouillottes, thermos et pull chaud ont donc servi de protection dans nos sacs. Avant d’entamer le chemin du retour, Pierre-Emmanuel, Louis, Kevin, Dorian, Coline et moi-même avons avons fait un rugby sur le continent Antarctique ! Probablement le match de rugby le plus exotique du monde. Plaquage cathédrale dans la poudreuse, mêlées sur une piste gelée, ce nouveau sport gagne à être connu : il nécessite cependant des  microspikes sous les pieds pour plus de stabilité.

C’est parti pour les sondages de la banquise

Un bon mètre de glace, on est bien!

 

Pique nique par -25!

Dorian et Louis

Coline méconnaissable!

Coucou toi!

C’est parti pour le rugby polaire!

 

ça pousse! Photo: Coline Marciau

Oh la belle ogive! Photo: Coline Marciau