Blizzard, sondage de glace et rugby polaire !

Le mois d’Avril a été marqué par un blizzard très impressionnant et surtout très long. Durant plus d’une semaine, la base Dumont d’Urville a fonctionné au ralenti, paralysée par l’extrême violence de la tempête. La neige est tombée sans discontinuer du 12 au 18 avril, accentuée par des vents entre 100 et 150 km/h, transformant alors une banale chute de neige en une tempête réduisant la visibilité à quelques mètres seulement, fouettant nos visages de ces milliers de flocons gelés devenus de véritables pics à glaces et formant des « congères » en quelques heures, accumulation de neige pouvant ensevelir les bâtiments. Ces congères ont par endroit atteint les 5 mètres de hauteurs, et ont bloqué l’accès de nombreux bâtiments, qu’il a fallu déneiger des heures durant une fois la tempête terminée. Point positif, nous avons pu commencer à creuser des igloos à l’intérieur de ces congères, et même façonné des escaliers de glaces pour les escalader.

En pleine tempête

L’entrée du séjour bloquée par le blizzard

Des escaliers de glace

ça déneige à DDU!

Kevin déneige l’entrée du séjour

Durant cette semaine, nous étions partagés entre une excitation certaine devant ce spectacle fascinant, que nous attendions un peu il faut bien l’avouer, histoire de vraiment vivre l’aventure Antarctique. D’un autre côté, au bout de quelques jours, la lassitude prend place chez certains des Adéliens, dont moi, car mon travail dépend de la météo. Je suis donc bloqué, impossible pour moi d’ouvrir la trappe du laser sous peine de me retrouver avec 3 mètres de neige dans mon labo. Il nous est interdit de nous éloigner de l’île, nos mouvements sont alors très limités : séjour-dortoir-salle de sport-bureaux. Mon travail m’apporte de plus une autre satisfaction, contrariée durant cette tempête, celle d’observer la voie lactée comme elle n’apparaît surement nulle part ailleurs sur le globe, ainsi que les aurores australes, régulièrement présente en ce mois d’Avril. Mais le blizzard ne laisse passer aucune lumière, ni celles des étoiles, ni celle du soleil : du blanc, du blanc et encore du blanc une semaine durant.

 Le retour du soleil fut un vrai soulagement, et comme pour nous récompenser de notre bravoure (bon j’en rajoute carrément parce qu’il faut bien avouer que le confort de la base atténue grandement le sentiment d’être un héros polaire…), le ciel nous a offert la plus belle aurore que nous ayons eu jusque-là : durant près d’une heure, une spectacle grandiose s’est offert à nous,  les particules de hautes énergies, ou plus communément rayons cosmiques, provenant du soleil ont excité les molécules d’oxygène et d’azote de la haute atmosphère, qui s’est mise à briller d’un pourpre éclatant et de cascades de vert émeraude si intense que cela illuminait la banquise alentour. Travaillant de nuit, j’ai eu l’honneur d’être le premier à observer cette aurore vers 1h du matin, j’en ai égoïstement profité seul quelques minutes (après tout ils n’avaient qu’à pas dormir hein! ça va je rigole…) avant d’appeler le 112, qui est ici le numéro « alerte aurore » auquel chacun est libre de s’inscrire ou pas, afin de réveiller mes camarades pour profiter ensemble de cette belle nuit. Ces instants sont pour moi les plus appréciés ici : observer le ciel me plonge dans un état second, comme projeté hors de moi loin dans l’immensité du cosmos. J’oublie alors la fatigue due à mes longues nuits de mesures, le décalage de rythme d’avec mes camarades qui parfois m’isole légèrement du groupe, les choses que je regrette d’avoir fait ou de ne pas avoir fait avant de partir, les résultats inquiétant d’une campagne présidentielle aux relents nauséabonds : non dans ces moment-là, l’insignifiance de ces soucis et plus largement de nos existences au regard de l’imperturbable mécanique céleste m’apaise, me rend humble, et me fait encore un peu plus apprécier les sciences qui régissent notre magnifique univers. J’ai la naïveté de penser que l’apprentissage de l’observation du ciel et la contemplation des beautés de notre Terre pourrait par l’humilité que cela apporte, à défaut de régler les problèmes, peut apaiser les frénésies consuméristes et communautaristes qui semblent ronger nos sociétés.

Aurore australe. Photo: François Mariotti

Le retour du beau temps nous a donné envie de sortir nous balader sur la banquise. L’occasion est venue de Kevin, notre glaciologue, qui devait se rendre à la base Prud’homme, située sur le continent à 5 km de l’île des Pétrels où nous vivons. Il doit une fois par mois aller mesurer près de deux cents balises qui enregistrent les mouvements du glacier de l’Astrolabe. Rappelons que les glaciers peuvent être assimilés à des icebergs, mais qui ne dérivent pas en pleine mer et sont au contraire rattachés au continent Antarctique. Les glaciers Antarctique sont en grands danger car, sous l’effet du réchauffement climatique, ils ont tendance à s’amincir et à glisser vers la mer. Leur inexorable chute, en plus de participer à la montée des eaux des océans, provoque une arrivée conséquente d’eau douce dans la mer australe, ce qui perturbe grandement les courant océaniques et par répercussion l’écosystème antarctique.

Cap Prud’homme, c’est ici

Kevin a constitué deux équipes, l’une l’accompagnant faire les relevés sur le glacier, la seconde (dans laquelle je me trouvais) chargée de sonder la glace, c’est-à-dire forer la banquise et mesurer son épaisseur. Ces mesures permettent à notre chef de district Serge de délimiter les périmètres dans lesquels nous pouvons nous balader sans risque, bien que le risque 0 n’existe pas avec la banquise. Si les données varient, globalement il est estimée qu’une personne peut marcher sur la banquise sans risque dès que celle-ci fait 10 cm d’épaisseur, un véhicule léger type quad peut y circuler dès 30 cm, les véhicules plus lourd type voitures autour de 60 cm et les Caterpillars vers 1m. Nos mesures sur le chemin de Prud’homme ont révélé une épaisseur de banquise supérieure à 70 cm, allant parfois jusqu’à 1m30. Nous avons rejoint vers 13h l’équipe de Kevin pour un pique nique à la base Prud’homme, avec vue imprenable sur la banquise et les nombreuses îles. Il faisait beau mais extrêmement froid, autour de -25 degré, il a donc fallu être inventif pour ne pas que nos sandwichs, gâteaux, foie gras, et boissons ne gèlent sur la route (ce qui est quand même arrivé pour certain, et aussi pour le vin qui s’est transformé en sorbet glacé au vin, fort original au goût) : bouillottes, thermos et pull chaud ont donc servi de protection dans nos sacs. Avant d’entamer le chemin du retour, Pierre-Emmanuel, Louis, Kevin, Dorian, Coline et moi-même avons avons fait un rugby sur le continent Antarctique ! Probablement le match de rugby le plus exotique du monde. Plaquage cathédrale dans la poudreuse, mêlées sur une piste gelée, ce nouveau sport gagne à être connu : il nécessite cependant des  microspikes sous les pieds pour plus de stabilité.

C’est parti pour les sondages de la banquise

Un bon mètre de glace, on est bien!

 

Pique nique par -25!

Dorian et Louis

Coline méconnaissable!

Coucou toi!

C’est parti pour le rugby polaire!

 

ça pousse! Photo: Coline Marciau

Oh la belle ogive! Photo: Coline Marciau

 

 

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Michèle
Michèle
7 années il y a

coucou Erwan, il y avait un petit moment en effet que nous n’avions pas eu le plaisir de te lire… JC est aussi accro que moi à tes récits! Nous t’avons cru coupé du monde à cause des conditions climatiques du moment… ce que tu nous confirmes plus ou moins! profite bien des spectacles des aurores qui doivent être magiques quand on les voit de ses propres yeux : je t’envie pour ces moments là uniquement car le -25° ne me fait pas rêver, mais pas du tout! Bisous

Dominique
Dominique
7 années il y a

Bonjour Erwan, merci pour ce reportage toujours aussi intéressant, il y avait longtemps que vous n’aviez pas écrit, je vous pensais en hibernation! Avez-vous dansé le haka avant le match de rugby? C’est aux pôles que l’on s’aperçoit le plus du réchauffement climatique, car ici en Alsace, il fait plutôt frisquet et pluvieux, mais il paraît que ça va s’arranger! On a en ce moment des « semaines de retraités », il fait beau quand les gens travaillent la semaine et mauvais le week-end! Amitiés