Le rythme en cette fin de mois est incroyable. Entre mes manips de nuits, les services bases, les coups de mains aux techniques pour décharger et ranger fioul et stocks et les anniversaires et soirées, le temps passe à une vitesse folle. D’ailleurs qu’es- ce que le temps, existe-t-il vraiment ou n’est-il qu’un artefact culturel sorti de notre imaginaire collectif ? Science et/ou philosophie peuvent-il répondre à cela ? Voilà une question que je me pose depuis des mois et des mois et qui resurgit avec encore plus de force ici, où les contraintes sociétales ont pour la plupart disparue, offrant une perspective très différente. ça me donne d’ailleurs l’idée de préparer une soirée café-débat autour de cette question à partir de mes lectures sur cette problématique et de mes connaissances en physique théorique.
En attendant je profite d’un peu de temps libre (c’est fou comme le mot temps est employé dans des tas de contexte) pour accompagner Coline baguer des poussins pétrels des neiges (PDN) et Damier du Cap ( DDC) avec également Solène et Philippe. Une journée sous un soleil radieux, qui nous offre une vue imprenable sur le glacier de l’Astrolabe sans vent, et une température exceptionnellement douce qui nous fit hésiter à sortir nos maillots pour aller se baigner (véridique !). Mais Coline n’a plus que quelques jours pour baguer des dizaines de poussins avant qu’ils ne s’envolent alors au boulot ! Elle nous autorise d’ailleurs à l’aider à attraper ces petites boules de poils qui se cachent (surtout les pétrels des neiges) dans le moindre recoin de la roche. Coline nous apprend que les poussins PDN se laissent enneiger dans leurs trous lors des tempêtes. Ils sont alors recouverts de dizaines de cm de neiges et leurs parents creusent ensuite des tranchées pour aller les nourrir : il parait que c’est très drôle à voir, surtout quand les poussins galèrent pour imiter leurs parents. Une après-midi au top ! Mais il faut bien l’avouer on passe le plus clair de notre temps a se faire vomir des bouillis orangeâtres et chaudes sorties tout droit des entrailles de nos petits piou-piou tout stressés. : c’est fou la quantité qu’ils sont capables de vous déverser dessus en quelques minutes, on y retrouve parfois des crevettes entières (oui l’ornithologie c’est pas toujours sexy…).
Quelques jours plus tard, l’installation du laser et ses réglages sont terminés, malheureusement le temps n’est pas de la partie et les nuits très couvertes, ce qui m’empêche, non pas de faire tirer le laser mais d’ouvrir les détecteurs qui risqueraient d’être éblouis par la réflexion des nuages bas. N’oublions pas en effet que mon but est d’observer les aérosols de la stratosphère (potentiellement destructeurs de l’ozone), entre 10 et 30 km d’altitude, et non les nuages bas : les détecteurs sont donc très sensibles et pas adapté à de forte luminosité, c’est d’ailleurs pour cela que je ne travaille que de nuit, ce qui bientôt sera 22h/24 (mais j’aurai le droit de dormir hein !). Puis arrive le grand jour, les nuages s’estompent et mon laser fend le ciel pour atteindre la stratosphère, ma première mesure est là, je suis comblé ! Les aérosols présents au-dessus de ma tête à plus de 10 km absorbe la lumière verte de mon laser et en renvoie une infime partie que je capte et dont j’essaie d’identifier les modifications causées par ces aérosols : je pourrai ensuite dans une phase de post-traitement déduire des informations sur ces particules (phase, concentration, taille, nature de l’élément…). J’ai depuis enchaîné les nuits de mesures (généralement entre 23h et 4h du matin) et essaient de régler plus finement mon système pour optimiser le signal reçu et faciliter le traitement des données. Lors d’une de ces mesures, dans la nuit du 25 au 26 février, un sublime spectacle nous a été offert par le ciel antarctique : notre première aurore australe ! Ce samedi, alors que la très cocasse soirée « extraterrestre, détail mexicain » battait son plein, nous nous sommes émerveillés devant ces particules cosmiques électrisants aussi bien l’ionosphère que l’ambiance générale à DDU, et provoquant un véritable torrent vert à travers le ciel, au milieu de plusieurs étoiles filantes et d’une vue incroyable sur la branche de la voie lactée dans laquelle le système solaire se situe. Quelques larmes ont perlé durant cette nuit froide, où le silence fut roi durant ces quelques dizaines de minutes hors du temps.
photos: Rémi Puaud