Une histoire de rapt et d’émancipation

J’avoue bien humblement que je ne connaissais finalement que peu de choses sur la vie des manchots Empereurs. Oh biensur, j’avais vu comme beaucoup le superbe film de Luc Jacquet « La marche de l’empereur » et d’autres reportages sur ces fascinants animaux et avait saisi les grandes lignes du cycle des empereurs: les manchots reviennent chaque hiver dans une même colonie (bien qu’ils en changent parfois) où ils chantent en guise de parade, trouvent un partenaire et s’accouplent. Une fois les œufs pondus par les femelles, celles-ci traversent la banquise à pied pour aller se nourrir pendant que le mâle entame un long jeun le temps de la couvaison de l’œuf. La femelle revient gavée, reprend l’œuf (ou le poussin si celui-ci à éclos) permettant au mâle d’aller se nourrir. Mâles et femelles vont ainsi enchaîner les échanges pour nourrir le poussin jusqu’à ce que celui-ci soit prêt à affronter le froid et la mer tout seul, et ainsi entamer un nouveau cycle (les nouveaux-nés ne reviennent pas immédiatement à la colonie mais peuvent rester au large, en mer, plusieurs années afin d’atteindre la maturité sexuelle).

Par ici les curieux

Un intrépide empereur

Coucou toi!

Kevin suivi par de courageux empereurs

 

Mais les côtoyer au plus près permet d’observer des comportements très particuliers, qui sèment d’embûches  le cheminement des poussins vers l’indépendance. Si les manchots ont tous des comportements individuels très différents, il se dégage cependant une atmosphère générale de la manchotière, très changeante au cours de l’année. Leur arrivée marque le début des chants, période légèrement confuse, bien que calme. Mais une fois en couple, une impression de sérénité se dégage, les chants se font alors à l’unisson, mâles et femelles se répondant dans un concert de mélodies très agréable. Très vite pourtant les femelles partent, la manchotière réduite de moitié se mue dans un silence de cathédrale très impressionnant. Les mâles, concentrés sur la couvaison et le maintien formation serrée pour se tenir au chaud, paraissent alors comme anesthésiés, atones. Impossible de ne pas faire le parallèle avec le calme qui règne aussi au sein de notre équipe, au cœur de l’hiver. La vie à la manchotière, ou la métaphore d’un récit d’hivernage.

Elodie tire la pulka trans portant son matériel

Manchots absorbant de la neige

 

Le retour des femelles et l’éclosion des œufs refait basculer la colonie dans un vacarme permanent qui se transforme vite en une agitation générale. Certains manchots donnent même l’impression d’être stressés. En effet, de nombreux couples se retrouvent sans poussins pour diverses raisons (œuf non éclos car gelé, œuf perdu, poussin mort de faim ou de froid…) et il semble que leur instinct leur dicte d’élever un poussin coûte que coûte, comme si échouer n’était pas envisageable, bien qu’il arrive de voir des manchots sans poussins partir vers le large et ne pas revenir. Démarre alors la période des rapts, objets de ce billet. Les rapts, comme leur nom l’indique, sont purement et simplement des vols de poussins de manchots à manchots. Les empereurs font preuve d’une agressivité étonnante dans cet exercice, bien loin de l’image de majesté suprême qui leur est accordée. Ils se jettent parfois à plus d’une vingtaine sur un pauvre manchot transportant un poussin sur ses pattes ( on imagine donc que cela devient difficile de se défendre) et le plaque littéralement en lui assénant de nombreux coup de bec pour le déséquilibrer et ainsi faire tomber le poussin, qu’ils espèrent récupérer. Ceci arrive quotidiennement, parfois plusieurs dizaines de fois dans la même journée.

Empereurs et leurs poussins

De nombreux poussins au chaud

C’est l’heure de la becquée!

 

Durant cette période, Coline fait ce qu’elle appelle ses « obs rapts » ou observations des rapts. Chaque jour, à raison de 4 ou 5 heures, elle observe la manchotière et note pour chaque rapt qu’elle observe la durée de la manœuvre, le nombre de manchots impliqués dans le rapt, la finalité de celui ci (a t-il réussi ou non?) et le comportement du manchot dépossédé de son poussin en cas de succès du rapt (se défend t-il, va t-il rechercher son poussin ou reste t-il passif?). Cette année, Elodie et Coline bénéficient d’un coup de pouce de dame nature, une congère naturelle, empilement de glace, surplombe la manchotière et offre un point de vue imbattable.

Coline s’installe sur sa butte d’observation

C’est parti pour les  « obs rapt »

La manchotière vue depuis la congère

Vue d’en bas de la congère, et suivant la lumière, cela donne à notre ornitho un petit coté prophète récitant les saintes paroles à ses fidèles. Des fidèles globalement attentifs, malgré quelques énergumènes un peu dissipés, ou simplement dégouttés de la secte solaire de Coline. Jugez par vous même.

 

 

Photobombing manchot

 

Ce qui m’a le plus marqué durant les quelques moments passés en obs rapt, outre l’intarissable source d’étonnement et de cocasseries que sont les empereurs, c’est à l’opposé l’extrême violence dont ils font preuve durant les rapts. Ils n’accordent à ce moment que peu d’intérêt à la santé du poussin, du moment qu’ils arrivent à le voler… Il n’est pas rare de voir succomber de malheureux poussins, écrasés par le poids de la mêlée au dessus d’eux, ou même des adultes récupérer un poussin sans se rendre compte (du moins si mais avec un certain laps de temps) que celui-ci est mort. Voici une vidéo, tournée par Coline, montrant un exemple de rapt (plutôt « doux » rassurez vous, même si un manchot fini par boiter bien bas…).

rapt de poussin. Vidéo de Coline Marciau

 

Oui la vie des poussins n’est pas des plus tranquille. Mais ils grandissent, prennent du poids et commencent à « s’émanciper ». L’émancipation est le moment où ils quittent le confort et la chaleur du gras des parents et marchent de leurs petites pattes sur le sol froid de la banquise. C’est un moment important pour eux, mais aussi pour les ornithos, car bientôt les poussins se mettront en crèche. Regroupés, ils auront plus de chance de survie, notamment face à la terrible menace que sont les PGA: les Petrels Géants Antarctique. Sous ce beau nom se cache un bel oiseau aussi habile dans les airs que maladroit sur le plancher des vaches manchots, là pourtant où ils viendront bientôt chasser les poussins qui auront la malheureuse idée de s’éloigner du groupe…Mais ceci est une autre histoire, une nouvelle étape dans la vie mouvementée des empereurs, qui n’en est qu’à ses prémisses…

Je vous joins également deux autres vidéos de Coline, l’une montrant un poussin qui n’est visiblement pas pressé de sortir du giron parental mais qui ne se rend pas compte qu’à un moment donné ça passe plus… et l’autre d’un poussin égaré, qui a probablement échappé à un rapt et se retrouve seul et légèrement maltraité par des adultes peu compatissants.

Lîle Rostand, où nichent les PGA

 

PGA en vol

 

Atterrissage (presque) contrôlé

 

 

Lien video: poussin esseulé

Lien video: poussin pour qui l’émancipation est un vague concept

 

29 ans, rien de spécial… Sauf quand c’est à DDU!

Samedi dernier 26 Août marquait mon passage aux 29 années révolues (et donc mon entrée dans la 30ème, mais ça j’en parle pas!). Inutile de dire que je me souviendrai de cette journée.

La veille au soir, entre deux messes basses classiques quand on prépare un anniversaire, Elodie me propose de l’accompagner le samedi matin lors de ses dissections de poussins Empereurs. Elle récupère régulièrement des cadavres de poussins pour en faire des prélèvements (foie, estomac, plumes) qui sont ensuite conservés au frais en attendant d’être envoyés dans les labos de métropoles. Cela passe par une dissection minutieuse et délicate car, au cours de l’opération, il faut éviter d’endommager les organes (s’ils ne le sont pas déjà du à la cause de la mort du poussin) et de percer certaines parties comme la vésicule biliaire, pour ne pas contaminer les organes à prélever, et accessoirement s’éviter des odeurs nauséabondes…

J’arrive donc à 9h le matin de mon anniversaire au laboratoire Biomar, où travaillent les filles de la TA67, Elodie et Coline. Les poussins sont là, les outils aussi. Impossible de ne pas avoir un petit pincement au cœur pour ces pauvres petites créatures qui n’ont vécu que quelques jours. Mais impossible aussi de se laisser déborder par ces sentiments lorsqu’on est ornitho, ou plus largement biologiste. Etudier les animaux passent aussi par des étapes moins réjouissantes, qui s’avèrent pourtant essentielles d’un point de vue scientifique. Alors qu’Elodie m’explique le déroulement de la dissection, j’entends Coline déserter le labo quelques minutes après mon arrivée. Et je comprends alors que cette matinée sert aussi d’alibi aux autres personnes de la base pour finir mes cadeaux pendant que je suis occupé toute la matinée. J’en rigole car j’ai moi-même usé de ces stratagèmes pour beaucoup de mes camarades. Les cadeaux se finissent toujours au dernier moment à DDU…

Les dissections s’enchaînent, Elodie prélève les organes pendant que je m’occupe des plumes et vide ensuite les estomac pour compter les cailloux (oui les cailloux!) avalés par les poussins. Je constate de façon très surprenante que ces cailloux représentent presque 10% du poids du poussin: 30 grammes sur 300 à 350 grammes. J’observe ensuite Elodie, dont les gestes se font de plus en plus précis avec le temps, elle a déjà disséqué presque 50 poussins. Sa précision en est presque glaçante de froideur, ce qui contraste avec le naturel enjoué d’Elodie. Pourtant à bien y réfléchir cela révèle au contraire le profond lien qu’elle entretien avec ces animaux qu’elle accompagne des heures et des heures chaque jour dans le froid depuis des mois. Elle parle peu, son application est comme son dernier hommage à ses poussins morts dont elle a vu les parents arriver, s’accoupler, pondre, couver et se passer les oeufs dont il sont sortis.  Elle est engagée comme personne dans son travail, comme toujours, et je l’admire pour cela. Nous passons une agréable matinée, entrecoupée de petites blagues et autres discussions, nous sommes tous les deux assez bon public là dessus.

Le reste de la journée est consacré au repas que je prépare pour le soir avec Aurélien et Yohann. Repas ayant pour thème le moyen-orient et la méditerranée: nan, baklava, humus, tajine, corne de gazelles, zlabia, makrouts, gâteaux iraniens et autres spécialités seront mon repas d’anniversaire!

Le soir après le repas, les cadeaux me sont offerts. Je suis impatient de découvrir le fruit de l’imagination et de l’ingéniosité de mes amis! Il faut dire que chaque anniversaire ici est l’occasion de s’amuser à fabriquer des choses, car ici pas de boutiques… Entre autres cadeaux, Coline et Louis m’ont dessiné sur un grand drap les constellations de l’hémisphère Sud, c’est très beau et rend très bien! Ils savent que je passe le plus clair de mon temps le nez dans les étoiles à observer les constellations. Coline m’a même préparé un guide des constellations, racontant leurs histoires, leurs mythologies, leurs places dans la ciel et les particularités des étoiles les composants comme l’étoile du pistolet dans la constellation du Sagittaire, étoile la plus lumineuse et la plus massive de notre galaxie (brille comme 40 millions de soleil!), Altair (dans la constellation de l’aigle), qui tourne sur elle même en 6h à presque 200 km par seconde, contre 26 jours pour le Soleil ou enfin l’étoile de Barnard (constellation du Serpentaire) qui se rapproche de nous à plus de 100 km par seconde et sera dans 10 000 ans l’étoile la plus proche de nous. Bref vous l’avez compris, tout cela me fascine.

J’ai également reçu un trophée du micro d’or de la part de Serge, faisant référence à mon poste d’animateur radio avec Elodie, une pinte customisée qui s’allume en vert et colore la boisson à l’intérieur dès que je soulève le verre! (merci Kevin et Etienne), une photo argentique de notre doué photographe François accroché sur un support en bois faisant office d’éclairage (vert comme mon laser) rechargeable par usb (etienne et Yohann), des baguettes pour batteries maintenant que je prends des cours de batterie auprès d’Etienne.

Je ne cite pas tout car cela prendrai encore des tonnes de lignes de lignes et puis certains doivent rester secrets je pense… La suite de la soirée: musique de tout style jusqu’au petit matin. J’ai pris le temps (enfin non pas vraiment) de faire un tour des derniers survivants et de faire quelques photos avec eux en rafales. Elles sont mal cadrées et parfois floues (forcément à 3h du mat en mode selfie avec un reflex…), mais elles figent des moments bien plus importants que la qualité de l’image et montrent des personnes qui m’ont offert un bel anniversaire et qui plus largement sont aujourd’hui de vrais amis.

Salut les boys (Kevin et Dorian)

 

Salut Alex!

Salut Coline!

Les boys Etienne et Kevin

Le lendemain, bien qu’un peu tous fatigués, Coline nous propose une balade vers les îles (plutôt îlots) Florence, à 4 km de la base, situées le long de la langue du glacier de l’Astrolabe, dans une zone appelée le « chaos » en raison d’un relief très accidenté, fruit de la rencontre de la banquise et du glacier se jetant. Cette balade est pour elle un repérage: en effet les phoques, bientôt de retour autour de DDU, se trouvent souvent dans cette région de la banquise, où pullulent les « rivières ». Les rivières sont des affaiblissement de la banquise qui cachent sous une fine couche de neige peu dense  l’eau de l’océan austral sur de fins couloir généralement de 30 à 80 cm de large. Ces rivières sont dangereuses pour nous (certains y sont déjà tombés, résultat une petite peur et un grand froid) mais vitales pour les phoques qui profitent de ces réseaux pour se balader sur des centaines de kilomètres sous la banquise. Sur le chemin du retour, le coucher du soleil et un vent catabatique descendant le continent nous ont  offert un beau spectacle, même si nous étions content que ce catabatique ne se dirigeait pas vers nous car on sait ce que ça donne maintenant les tempêtes en Antarctique… La suite de cette balade en photos!

4 manchots dans le vent

Dorian et Kevin

Sondage de l’épaisseur de la glace

« La dent »

Le chaos

Coline et Elodie observent l’état du « chaos »

Un iceberg pris dans les glaces

Le chaos

Le chaos

Le chaos et le glacier vus depuis Florence

Etienne en pause Playmobil

Avec Etienne devant le glacier. Photo: Jérémy Lasmartres

 

Coucher de soleil

Vent catabatique

Vent catabatique

Vent catabatique

Vent catabatique

Photo de groupe! Photo: Jérémy Lasmartres